Depuis quelques années, grâce notamment aux détectoristes amateurs et à internet, un nombre considérable de petits écussons métalliques armoriés ont refait surface. On peut en admirer facilement sur les forums de discussion spécialisés, ainsi que sur les sites de ventes aux enchères. Ces découvertes pourraient enrichir le corpus en s’ajoutant aux maigres collections conservées dans les musées, mais encore faudrait-il que ces découvertes puissent être inventoriées de manière systématique. Malgré tout, c’est à la lumière de ces nouvelles découvertes qu’il m’a parut opportun de faire le point sur les vervelles, ou pour être plus précis, les petits écussons métalliques armoriés.
Les vervelles à faucons
La vervelle, est le nom d’un petit anneau métallique que l’on attachait aux pattes des faucons grace aux jets (petites lanières de cuir) pour y passer la longe. Cette dernière permettant de l’attacher. Ce petit anneau métallique évolua avec le temps, prenant la forme d’un écusson gravé, doré et émaillé aux armes de son propriétaire.
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Extrait du "Traité de fauconnerie" de Frédéric II |
En effet, l’animal était fort précieux et réservé aux plus puissants seigneurs :
« […] les grands seigneurs se distinguaient par l’importance de leur fauconnerie et ne négligeaient rien pour soutenir avec honneur cette marque de leur privilège. […] on jugeait souvent de la valeur d’un fief par l’importance de la volière. »
La fauconnerie ancienne et moderne – J-C Chenu et O. des Murs - 1862
Le blason, marque d’appartenance, permettait donc de rapporter le volatile à son propriétaire si jamais il venait à se perdre ou à prendre la fuite :
« Du temps du roy Henry second, estant iceluy à Fontainebleau, un sacret de sa fauconnerie d’escarta, suivant une canepetière, lequel, le lendemain, jour de N-D de Mars, feust reprins en l’isle de Malte, ainsin que le grand maistre d’icelle, qui pour lors y estoit, l’excrivit au roy en le luy faisant tenir ; et l’année passée, un faucon que j’avois donné monta en essor à une lieue de Paris, et le mesme jour, feust reprins à Clèves, en Allemagne, et rapporté à Monseigneur de Guyse à qui il appartenoit. »
La fauconnerie - Charles d’Arcussia - 1598
Outre ces témoignages qui confirment l’utilité des vervelles armoriées, on trouve leur trace dans des registres comptables :
« vervelles d’argent, dorées et esmaillées des armes de France pour les faucons du Roy. »
Glossarium ad scriptores mediae et infimae latinitatis, Comptes royaux de 1350 - Du Cange
« A Jehan Galant, pour six vervelles d’argent renforcées, dorées et esmaillées à fleur de lys, pour mectre ès getz des Oyseaux de sa chambre »
Comptes de l’hôtel des rois de France aux XIVe et XVe siècle – 15.l.t.
« A Jehan de Zeelande, orfèvre, pour xij xijnes de vervelles richement esmaillées et armoyées aux armes de Monseigneur et y mis et escript son nom par dedans et par dehors pour ses oyseaulx »
Comptes des ducs de Bourgogne – 890
« A Jehan Mainfroy, orfèvre de Monseigneur [le duc de Bourgogne], pour avoir fait iiij douzaines de vervelles pour faucon, icelles esmaillées et dorées »
Comptes des ducs de Bourgogne – n.77
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Dressage des faucons - BNF, Français 12399, fol. 57v |
Vu leur usage, il semble évident que ces écussons émaillés devaient être très petits pour ne pas déséquilibrer le faucon. Ce sont donc les plus petits modèles (de 15 à 25 millimètres de haut) qu’il est possible de classer comme vervelles à faucons. Une autre particularité de ces vervelles, réside dans le fait qu’elles sont généralement émaillées sur une seule face. Malheureusement, à ma connaissance, aucune image illustrant ces vervelles armoriées n’a été découverte, et ce malgré l’existence de nombreuses enluminures mettant en scène des faucons.
Les vervelles « à chiens »
Depuis le début du XXème siècle, l’hypothèse prédominante est que les vervelles de taille plus imposante, et notamment celles comportant une bélière déportée sur le flanc, auraient été destinées aux chiens. La position déportée des bélières étant attribuée à la mode graphique des sceaux de l’époque qui représentaient l’écu penché.
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Paris, Bibliothèque Mazarine, ms 3717, fol. 026v |
Cependant, même si il n’est pas contestable que certains chiens furent affublés d’un écusson métallique aux armes de leurs propriétaires, rien ne permet d’affirmer que ces écussons étaient pendants à leur cou, ou que la bélière déportée avait un quelconque rapport avec une mode graphique.
Comme pour les vervelles à faucons, il existe des traces écrites de l’existence de petits écussons armoriés destinés aux chiens qui attestent de leur existence :
« huict escussons de cuivre aux armes de Monseigneur et de Madame pour attacher ez colliers des levriers de Madicte dame ... »
M. Victor Gay reproduit ce texte en lui donnant la date de l’an 1454
Aujourd’hui, de nouveaux éléments permettent d’éclairer sous un nouveau jour l’utilisation de ces écussons armoriés à bélière déportée.
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BNF, Français 9197, fol. 202 |
Tout d’abord, la découverte d’une enluminure montrant un couple entouré de chiens, où l’on voit clairement dans les marges trois colliers de chien comportant chacun l’écusson du commanditaire du manuscrit. Ces écussons semblent rivetés au cuir du collier, et non pendant. De plus, l’écusson étant représenté en couleurs, il devait être émaillé. Il parait également probable que seuls les chiens d’agrément portaient un tel écusson. En effet, la fabrication d’un petit objet de ce type par un orfèvre représentait un certain coût, bien plus élevé que le prix d’un simple chien de chasse. Ce dernier étant de plus facilement enclin à le perdre. J’ajouterai que la quantité d’écussons métalliques à bélière déportée découverts, est bien moins importante que ceux à bélière en chef, alors que les chiens étaient bien plus nombreux que les faucons.
Enfin, de petites plaques métalliques gravées (50 millimètres de haut) qui étaient rivetées aux colliers des chiens de chasse furent retrouvées, portant par exemple comme inscription « IE SVIS AV ROY VIAN ME GARDE 1633 », et non un blason, bien que la plaque ait la forme d’un écu.
Le second élément me permettant de remettre en cause l’hypothèse de l’utilisation de la bélière déportée pour les chiens, est la découverte de plusieurs pièces, dont certaines ont conservé leur support d’origine. Les écussons seuls sont d’une hauteur moyenne de 30 millimètres. Avec le support, leur hauteur est comprise entre 40 et 45 millimètres. Généralement, les 2 faces sont gravées et émaillées d’armoiries (identiques ou différentes). A la vue de la photographie ci-contre, il semble évident que la tige métallique était fixée sur un support, et non attachée au collier d’un chien.
Quelle pouvait être l’usage de ces écussons à bélière déportée ? Outre l’hypothèse d’éléments décoratifs de harnais de chevaux, il est possible d’imaginer que ces dispositifs pouvaient être fixés sur des bacinets au niveau de la fixation de la visière.
Autres vervelles pendantes
Si les chiens ne portaient pas d’écussons métallique pendant à leur cou, qu’en est-il pour les autres pièces de plus grande dimension et parfois de formes différentes ? Là encore, les découvertes de ces dernières années nous renseignent sur leur origine et leur usage. En effet, beaucoup d’objets ont été retrouvés avec leurs attaches d’origine, indiquant qu’ils étaient rivetés à un support. L’hypothèse admise, est qu’il s’agit d’éléments composant le harnais des chevaux. Cette théorie fut confirmée par la découverte en 2011 dans le comté de Cork en Irlande, d’un élément de harnais médiéval extrêmement bien conservé, et richement décoré. Il comporte 36 écussons héraldiques en alliage de cuivre doré, chacuns ornés de lions rampants (voir photo ci-dessous). Cette découverte nous montre également que certains supports étaient eux aussi ornés d’armoiries identiques à leurs pendants. Plusieurs pièces semblant provenir de harnais semblables à celui découvert en Irlande ont été mis au jour. Il ne sont pas gravés mais en métal repoussé, ce qui donne du relief aux motifs. De plus, ils ne semblent pas avoir été émaillés.
Outre la fonction décorative des écussons sur les sangles de cuir des harnais, il semble que certains écussons à bélière en chef étaient des composantes de structures plus complexes. Le British Museum en conserve au moins trois exemples où l’on voit clairement plusieurs écussons métalliques pendant tout au tour de la structure. La description que donne le musée de ces objets, les classe également dans les éléments décoratifs de harnais. Ils comportent des passants pour les lanières en cuir. Il semble que ce type de structure décorative relativement rare, devait être destinée à la parade lors d’événements importants.
Enfin, il existe une variante beaucoup plus rare comportant aussi une bélière en chef : les matrices de sceaux uniface ou bifaces. De petite dimension (25 millimètres pour les plus petites), elles n’étaient ni dorées ni émaillées. Il semble pour le coup évident que’elles devaient être au cou de leur propriétaire pour être en sécurité, et à portée de main en vue d’une éventuelle utilisation.
Écussons métalliques à tenon
Un dernier type d’écusson métallique peut également être cité, celui comportant non pas une bélière mais un tenon au revers. ce dernier est parfois nommé « applique ». En règle général, ces pièces sont de petite taille (15 à 30 millimètres de haut), mais toujours émaillées et dorées. Quant à leur usage, il est probable que ces pièces furent rivetées sur des ceintures ou des vêtements, et bien évidemment sur les colliers des chiens d’agrément.
Ci-dessous une petite structure métallique comportant un écusson à tenon dont l’utilité reste à découvrir.
Conclusion
Aujourd’hui, le terme de « vervelle », qui était réservé à la fauconnerie, amalgame tous les types d’écussons métalliques armoriés. On voit désormais que les vervelles à faucon restent largement minoritaires comparées aux éléments décoratifs héraldiques des harnais de chevaux, et que les vervelles à chien sont difficilement différentiables des appliques destinées aux harnais. De plus, de nouveaux types d’écussons ont émergé grâce aux découvertes faites ces dernières années, permettant d’émettre de nouvelles hypothèses quant à leurs usages. Là encore, un beau travail de recherche se profile, mais la nécessité d’un enregistrement sérieux de toutes ces découvertes se fait cruellement ressentir.
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